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Ibn arabi : Fonction et récit de sa conversion à la grande Voie

Shaykh al-akbar, Muhiyuddin Ibn arabi, est le sceau de la sainteté mohammadienne (Khatm al wilaya muhammdiyya). Par cette expression, nous entendons que le plus grand des maîtres, Ibn arabi, possède, à travers son œuvre, l’interprétation par excellence de la Loi mohammadienne ; en effet, le Prophète Muhammad est le sceau de la prophétie légiférante, Khatm al-anbiya wal mursalîn, il représente « l’énonciation finale de la Loi divine » (au sens de Dharma que l’on pourrait paraphraser par « Loi cosmique éternelle d’origine divine ») qui a permis à celle-ci de se « fixer » pour le cycle humain. Ibn arabi représente, quant à lui, son aspect intérieur ou essentiel qui permet d’universaliser la Shari’a de l’Islam à l’ensemble du domaine traditionnel présent. Cette opération d’universalisation se fera sous l’égide du Mahdi, fonction qui comprend le Christ de la seconde venue d’après le symbolisme des deux Nûn évoqués dans nos articles précédents et le hadith suivant : Lâ Mahdi illa ‘Isa, « Pas de Mahdi si ce n’est Jésus ». Le Mahdi, donc, qui exercera, selon Michel Valsan (Sheikh Mustapha), « en correspondance avec le symbolisme de la fin du cycle, un magistère apocalyptique de transposition et d’universa­lisation spirituelles, engageant toutes les forces sacrées et s’appliquant à l’ensemble du domaine traditionnel ».

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Sheikh al-akbar, Muhyydin Ibn arabi, est le plus grand Maître de l'ésotérisme islamique. Il hérite du maqam de Sceau de la Sainteté muhammadienne. En cette fin de cycle, nul n'accédera à la science prophétique relative à notre temps sans passer par l'Adab de la Lumière du Sheikh al-akbar.

Dans l’économie spirituelle de la fin des temps, Shaykh al-akbar représente l’« Intermédiaire divin » entre le Prophète Muhammad et l’Imam al-Mahdi. Au point de vue cyclique, l’existenciation du Sceau de la Sainteté mohammadienne coïncide avec un moment décisif au 13ème siècle. La tradition islamique connaît alors des changements profonds qui entraînent la nécessité d’une réadaptation, c’est le siècle de la disparition du Califat exotérique en tant que source de pouvoir effectif et de l’institution des grandes confréries initiatiques. Soumis à l’ordre divin qui lui révèle :« Conseille mes serviteurs », Ibn arabi formule, à ce moment, une réadaptation de l’Islam conforme avec les prérogatives de la fin des temps et sa vocation universelle au-delà de son cadre historique. Notons que l’ordre divin envers Ibn arabi, d’énoncer « des conseils », instaure non seulement une investiture eschatologique mais fait également de celui-ci LA référence en matière de science et doctrine, car en définitif la science du Sheikh al-akbar n’est autre que la science du Sceau des Envoyés, Seyidina Muhammad (sws) (Voir à ce sujet la vision du Prophète, rappelé plus bas, à l’origine d’un des ouvrages majeurs du Sheikh al-akbar : Fûsus al-hikam).

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La doctrine des 3 sceaux de l'ésotérisme islamique, où le Shaykh al-akbar fait le "lien" entre le Prophète Muhammad (sws) et le Mahdi.

La fonction du Sheikh al-akbar se traduit de manière pratique par une acceptation avec l’adab requis de son œuvre écrite notamment les deux principales qui portent un intérêt eschatologique majeur : al-Futuhât al-makiyya (Les Illuminations de la Mecque) et les Fusus al-hikâm (le Livre des Chatons des Sagesses).

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L'édition manuscrit par Ibn Arabi des Futuhat al-makiyya présent à Istanbul à gauche et un extrait des fusus al-hikam à droite

Le Livre des Chaton des Sagesses (Fusus al-hikam)

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Pour illustrer la fonction d’Ibn arabi, sceau de la sainteté mohammadienne, nous proposons un autre exemple avec le Livre des chatons des sagesses (Fusus al-hikâm), dont l’auteur apparent est Ibn arabi mais dont la source véritable est le Prophète Muhammad (sws) comme le révèle le songe de bon augure au début du livre : « En vérité, j’ai vu l’Envoyé d’Allah (sws) au cours d’un rêve de bon augure que j’eus pendant la dernière décade de Muharram en l’an 627, dans l’enceinte de Damas. Il tenait dans sa main un livre. Il me dit : « Ceci est le Livre des Chatons des Sagesses (Fusus al-hikâm); prends-le et exprime le pour les hommes, qu’ils puissent en tirer profit ! » » Notons, avec attention, que l’Envoyé d’Allah (sws) demande d’exprimer le livre pour les hommes de façon générale sans exclusion et non de façon spécifique à la communauté musulmane historique ; Ajouté à cela, à l’époque d’Ibn arabi, le contenu du livre ne pouvait se limiter qu’à la zone géographique de l’Islam historique dues aux conditions cycliques du moment voulues par la Volonté divine. Dès lors, l’ordre du Prophète concernant l’humanité dans son ensemble, c’est bien à notre époque que le contenu de ce livre béni devait livrer toute sa signification véritable et donner les bases ésotériques pour une réconciliation divine universelle dans le domaine traditionnel, à un moment cyclique où les différentes religions et formes traditionnelles sont confrontées les unes aux autres, par la mondialisation, et où à la fois leur antagonisme et le syncrétisme naïf jouent le jeu de l’Antéchrist (al-massîh ad-Dajjâl). Chacun des verbes, ou chaton de sagesse, exprime un aspect fondamental de la Sagesse éternelle et une doctrine métaphysique qui transcende le cadre des trois monothéismes auxquels les verbes prophétiques appartiennent. Toutes les vérités fondatrices des formes traditionnelles sont synthétisées dans ce livre d’origine prophétique et celui-ci, donc, sert de base pour les « gens du Mahdi » afin d’opérer la Réconciliation divine universelle et réunir « tout le bien de la fin du cycle » sous la guidance de l’Imam al Mahdi.

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Le sceau de la sainteté Muhammadienne est l'Intermédiaire entre notre époque et la Source de sagesse du Sceau des Envoyés, Seyyidina Muhammad

Le Livre des Chatons des Sagesses traduit et commenté, à la lumière de l'enseignement de René Guénon, par Charles-André Gilis (Sidi Abderrazaq Yahya)

Bien entendu, la fonction d’Ibn arabi est à considérer dans un contexte traditionnel où le monde moderne doit être ramené à la place qui lui revient dans la hiérarchie de l’être et où le mental est purifié de son caractère profane. A l’heure où à notre époque les éléments anti-traditionnels voire contre-traditionnels sont omniprésents, il est indispensable de suppléer la fonction d’Ibn arabi au préalable par la fonction de René Guénon, Sheikh Abdelwâhid Yahya, qui purifie le mental des « empreintes » du monde moderne. Ceci est un autre sujet que nous ne pourrons développer ici.

Sheikh al-akbar, Ibn Arabi et Sheikh Abdelwâhid Yahya, deux fonctions complémentaires majeures dépendant du Centre suprême, Diwan al-awliya, pour la fin des temps

Après avoir partagé quelques éléments concernant la fonction d’Ibn arabi, il nous a paru utile de mettre en perspective le commencement dans la grande Voie du plus grand des maîtres et ceci, afin d’illustrer que malgré une période d’ignorance où nous pouvons extérioriser les possibilités négatives inhérentes en nous, la grâce divine peut à tout moment nous récupérer et nous accorder Sa proximité.

 

Nous partageons ici, son récit de conversion soudaine pour la Grande Voie et la quête de la Réalité divine ultime.

Récit :

 

"Ce soir-là, comme tous les soirs, je retrouvais mes amis devant la maison de l'un ou l'autre d'entre eux. A cette époque, mes amis étaient tous des fils de princes ou de ministres. Nous étions riches, insouciants et sans doute pour la plupart malheureux. Les conflits entre royaumes ne nous concernaient pas, pas plus que les alliances entre musulmans et chrétiens. Nous étions jeunes et nous profitions de notre jeunesse.

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À cette époque, les nuits étaient plus animées que les jours à Séville. Nous ne nous couchions jamais avant l'aube. Souvent, je rentrais chez moi lorsque le muezzin sonnait l'appel à la prière de l'aube. Si j'en avais encore la force, j'entrais dans une mosquée et après avoir fait les ablutions rituelles, ablutions sèches avec une pierre car je ne voulais pas me mouiller le visage, et encore moins les mains et les pieds, je rejoignais les rangs des fidèles. Mais mes pensées s'envolaient dans toutes les directions, comme un cheval non débourré. Je goûtais à nouveau aux délices de la veille, à la magnifique musique andalouse, aux accords mélodieux du luth, aux danses salaces avec des jeunes femmes qui apaisaient nos regards brûlants, aux senteurs d'ambre et de musc.

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A moitié endormi, je me réveillais en sursaut à l'heure de la prosternation. Je n'écoutais plus l'imam, espérant qu'il finirait bientôt. Je me demandais pourquoi devait-il réciter l'interminable sourate al-Baqara ou al-Imrân. Pourquoi ne pouvait-il pas réciter al-Infitar ou al-Fajr ? Je me contentais généralement des brefs versets d'al-kawthar, puis je partais, exténué et stupéfait, me coucher. Souvent, je ne me levais pas avant la mi-journée. Ma mère ne se plaignait jamais et m'apportait même des crêpes croustillantes avec du miel.

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La vie d'Ibn Arabi avant son entrée dans la Voie spirituelle, un mélange de plaisir et raffinement mondain

Mon cousin Abdelaziz, qui nous avait suivi de Murcie à Séville, était toujours prêt à m'entraîner dans ces déambulations nocturnes. La vie ne semblait être qu'un tourbillon incessant de fêtes. Cependant, j'avais parfois l'impression qu'avec toutes les guerres qui se déroulaient autour de nous, la fête pourrait un jour prendre fin, que Séville pourrait être réduite en cendres, que des armées ennemies pourraient débarquer, leurs soldats crachant sur nos cadavres.

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Lorsque je lui parlais de ce genre de choses, Abdelaziz me répondait : "Raison de plus pour profiter au maximum de chaque instant qui passe ! Ses paroles n'apaisaient en rien mes craintes les plus profondes, bien au contraire, elles les attisaient. Bien sûr, je suivais déjà les enseignements de certains maîtres, comme Abu Abdallah al-Khayyat, mais leur sagesse ne m'atteignait pas. J'apprenais le Coran, étudiait l’astrologie, les sphères célestes, les mathématiques et les sciences. J'étais doué, peut-être trop doué, et j'aimais étudier, mais mes études ne semblaient mener nulle part. À quoi bon suivre cette voie ? Ma route était déjà tracée : Je deviendrais comme mon père, ministre d'un sultan. Inshallah, je recevrais beaucoup d'honneurs et de faveurs.

 

Je repense à cette époque comme celle de ma grande ignorance, ma jâhiliyya.

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Cette nuit particulière avait commencé comme toutes les autres. Des pétales de roses flottaient dans les fontaines du palais, des acrobates réalisaient une fragile pyramide humaine, un dompteur de singes forçait son animal, revêtu de son petit gilet d'or, à imiter nos gestes. Je saisis une coupe de vin que l'on me proposa, mais son goût me brûla la gorge, son amertume me fit grimacer. C'était comme du vinaigre. Autour de moi, d'autres personnes éclataient de rire, déjà ivres. Je n'avais pas encore bu une seule gorgée que je me sentais déjà pris de vertiges. Je dus m'asseoir, puis m'allonger sur un divan. Une fille aux cheveux blonds et au teint de pêche me caressa le front ; mais je la repoussai brutalement. A ce moment, elle ne représentait pas une huriyya, une vierge qui attend les vrais croyants à leur entrée au paradis, mais une méchante diablesse. Les expressions de mes amis étaient une torture à écouter, et leurs paroles vides me faisaient mal aux oreilles.

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Un prince se rapprocha de moi : "Qu'est-ce qui ne va pas, Muhiyuddin ? Te sens-tu faible ? Il faut que tu boives un peu plus ! Bois !" Il me souleva le menton de sa main droite, de sorte que mes lèvres touchèrent à nouveau le bord de la coupe. Autour de moi, je ne voyais que des ombres, des fantômes dansants et des squelettes gesticulants. Je tremblais de froid, de fièvre, mes dents claquaient. Soudain, j'eus l'impression de glisser dans un puits sans fond. Le bruit cessa et je flottais dans le néant. Et dans une lumière éclatante, un visage apparut. Il avait un sourire si doux que je fus immédiatement apaisé. Ses yeux regardaient mon âme et je sus qui c'était, c'était Sayidina 'Isa (Jésus) qui vivait parmi les hommes et qui reviendra à la fin des temps ! Sa voix rompit le silence : " Muhiyuddin, est-ce pour cela que tu as été créé ? " demanda-t-il, puis il disparut.

L'apparition de Jésus, sceau de la sainteté universelle, à Ibn Arabi pour le tirer de son ignorance n'est pas sans lien avec la relation particulière qui les unit de par leurs fonctions eschatologiques respectives 

Était-ce un rêve ? Le lendemain, je me réveillai sur le divan où je m'étais évanoui la veille. Tous mes compagnons avaient disparu. L'air dégageait une odeur nauséabonde. L'eau des fontaines ne résonnait plus et les fleurs s'étaient fanées.

Je partis aux bains, seul, pour me purifier le corps et l'esprit. Le masseur me frotta vigoureusement et je vis des couches de salissures se détacher de ma peau. Je demeurai allongé sur le sol brûlant pendant un long moment. Sayidina 'Isa avait répondu à toutes mes questions. Je n'avais plus aucune inquiétude concernant la possibilité de suivre les traces de mon père, de devenir un courtisan arrogant mais servile. Si Dieu me confiait un tel rôle, je l'accepterais bien sûr, mais en aucun cas je ne rechercherais un tel avenir.

En sortant, je vis un berger. Je lui donnai mes vêtements coûteux et je mis ses vêtements usés. "Conduisez-moi au lieu où reposent les morts ! demandai-je. Il me prit la main et me conduisit dans les environs de Séville. Là, parmi les pierres qui marquaient la dernière demeure d'hommes qui avaient été des êtres de chair et de sang et dont il ne restait plus que des ossements en décomposition, je rendis grâce à Dieu pour ses bienfaits. Je le remerciai de m'avoir envoyé son messager, Seyyedina 'Isa. Je restai perdu dans ma méditation pendant le reste de la journée. Au crépuscule, je vis les ruines d'un tombeau dont les murs s'effritaient. Je décidai de m'y retirer. Pendant quarante jours et quarante nuits, je restai prostré dans le cimetière. Ma seule compagnie était celle des animaux errants, d'une chienne jaune qui partageait le pain que me donnaient les rares visiteurs des morts.

Mes parents, inquiets, envoyèrent mon cousin Abdelaziz à ma recherche. Lorsqu'il me trouva, couvert de poils et ne portant que des haillons de berger, il crut que j'étais devenu fou. Il me secoua violemment : "Muhiyyuddin ! Que t'est-il arrivé ? Pendant tout ce temps, toutes ces soirées, alors que nous buvions du vin aux éclats dorés qui réchauffent le cœur, alors que nous étions avec les plus belles femmes, toi, tu étais là, à t'apitoyer sur ton sort, de l'autre côté de la rivière."

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Je ne lui prêtai aucune attention et continuai mon dhikr, l'invocation d'Allah. Finalement, il abandonna. Puis, c'est ma mère qui vint me chercher. Muna, ma mère, me parla doucement : "Reviens, mon fils, reviens à la maison". Je ne prononçai qu'un seul mot, Yahia, le nom de son frère, et elle comprit aussitôt.

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À la fin de ma retraite, je confiai tous mes biens à mon père, même ceux que j'avais hérités de mon oncle, et je décidai qu'à partir de ce moment-là, je ne posséderais plus rien. Rien ne m'appartiendrait, pas même la djellaba que j'avais sur le dos ou les pantoufles que j'avais aux pieds."

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Ibn Arabi, tiré de On the path of Ibn al-Arabi The revelations in Fez and Marrakesh

Je l'ai rencontré à la mosquée des Udays, à Séville, alors qu'il n'avait que

dix ou onze ans : un garçon triste et mélancolique

sujet à des stupeurs intenses et à des extinctions de conscience.

Peu de temps avant de le rencontrer, j'eus un "pressentiment"

sur le chemin, bien que personne ne le sache, et

quand je le vis, je voulus me comparer à lui. Je le regardais;

Il se retourna vers moi et me sourit. Je lui fis signe,

et il me fit signe en retour. Par Allah! Je me sentais

comme un imposteur devant lui. Il me dit :

“Fais preuve de sagesse ! Heureux celui qui sait pour quel destin il a été 

créé !”. Il accomplit la prière de l'après-midi avec moi,

puis, prenant ses chaussures, il me salua et me quitta.

Je voulais le suivre, savoir où il vivait,

mais aucune trace de lui. Personne ne pouvait me renseigner sur lui.

J'étais inconsolable. Je ne l'ai jamais revu depuis et je n'ai entendu

personne parler de lui jusqu'à aujourd'hui.

Il y a des maîtres qui sont jeunes, d'autres qui sont plus avancés en âge.

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Ibn al-arabi, Les Soufis d’Andalousie

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